Avec le Gouvernement de la Rép. de Chypre |
a. Dans la partie contrôlée par la République de Chypre 49. Le 5 novembre 1991, suivant le programme qui avait été élaboré par les autorités chypriotes grecques, j'ai d'abord rencontré M. Galanos, Président de la Chambre des représentants et Vice -Président de l'Assemblée parlementaire. Il a indiqué que le nombre de colons, d'origine turque, établis dans la partie nord de l'île était en augmentation. A son avis, cette présence conditionne l'avenir car elle pourrait renverser la structure démographique de l'île. Chypre devrait pouvoir profiter de l'atmosphère de paix qui s'installe dans la région pour parvenir à un règlement pacifique du conflit qui oppose les deux communautés. La Turquie devrait prendre conscience de ses responsabilités dans ce problème. Les Chypriotes souhaitent un pays à structure fédérale où les deux communautés pourraient vivre ensemble, oubliant les divergences passées. 50. Dans la réunion qui a occupé le reste de la matinée du 5 novembre 1991, les experts de la République de Chypre m'ont présenté les différentes données démographiques analysées dans le chapitre précédent. 51. M. Matsis, membre de l'Assemblée, qui participait à la réunion, a déclaré que l'arrivée de colons originaires de Turquie constitue une atteinte à l'équilibre politique de l'île. Il a souligné que les dirigeants de l'opposition chypriote turque sont également inquiets de la présence des colons. D'autant plus qu'avec l'émigration de Chypriotes turcs, cette présence turque risque d'entraîner la disparition de l'identité de la communauté chypriote turque en tant que telle. La proposition américaine de convoquer une conférence internationale sur la question chypriote a échoué à cause de l'intransigeance des dirigeants de l'Administration chypriote turque, notamment de M. Denktash, l'un des principaux intéressés à changer la structure démographique de l'île. 52. M. Clerides, Président du Parti du rassemblement démocratique (PRD), a rappelé que l'invasion turque avait provoqué le départ vers le sud de 180.000 Chypriotes grecs qui résidaient dans la partie nord de l'île. Le vide laissé avait été comblé par l'installation de colons turcs. Leur arrivée constitue une tentative de modifier les structures démographiques du territoire occupé. Les contacts du PRD avec les différents partis politiques du nord ont mis en évidence l'urgence de parvenir à une solution afin d'éviter que la communauté chypriote turque ne devienne minoritaire dans la partie nord. Les colons constituent un réservoir de voix pour le Parti de l'unité nationale (PUN) de M. Denktash. Chaque élection dans la partie nord est précédée d'une campagne de naturalisations massives. Les négociations pour mettre un terme au conflit doivent se dérouler entre représentants des deux communautés. Au cours des derniers temps, aux Nations Unies, la Turquie a donné l'impression qu'elle pourrait discuter d'un retrait partiel du territoire qu'elle occupe afin de donner la possibilité à quelque 85.000 Chypriotes grecs de retourner dans leurs foyers. Tout éventuel accord devrait être garanti par la communauté internationale. Certes, pour parvenir à une solution, les deux communautés doivent se sentir en sécurité. Ceci exige que les garanties internationales de paix soient élargies. Chypre souhaite adhérer à la Communauté européenne. Ses Etats membres pourraient garantir son intégrité territoriale. Il faut être conscient que le temps joue contre la solution du problème. Dans les deux parties de l'île, il devient de plus en plus difficile de trouver des jeunes femmes et hommes politiques qui aient des rapports avec l'autre partie. Dans la partie nord de l'île, les partis de l'opposition rejettent de plus en plus la présence des colons et de l'armée turque; les partis au pouvoir, par contre, sont en faveur de perpétuer la division. 53. M. Christofias, Secrétaire général d'AKEL (Parti communiste), a estimé que l'occupation de Chypre par un pays étranger qui se dit européen, est un anachronisme. Pour résoudre le problème, il faut que chaque partie assume les responsabilités qui lui sont propres. Mais la puissance occupante a aussi des responsabilités. AKEL a des contacts avec de nombreux Chypriotes turcs qui sont extrêmement préoccupés par la présence des colons, dont le nombre est estimé à 65.000. Ce chiffre a été avancé par les représentants du Parti républicain turc (PRT), un parti de l'opposition qui souhaite la réunification de l'île. D'après des témoignages recueillis au nord, les Chypriotes turcs sont progressivement écartés de la direction des affaires du pays. N'importe quel Chypriote grec aurait le même sentiment si le pourcentage de Grecs dans la partie sud était celui de ressortissants turcs au nord. Le sentiment de sécurité que la présence turque avait procuré aux Chypriotes turcs de 1974 à 1980 a progressivement cédé la place à la méfiance face à ce qui est perçu comme une colonisation progressive. Aujourd'hui la question des colons devra figurer nécessairement à l'ordre du jour de toute négociation entre les deux communautés. Mais il ne serait pas acceptable que des étrangers décident de l'avenir de Chypre. Les colons devraient retourner en Turquie après avoir fait l'objet d'une indemnisation. Certes, le problème des mariages mixtes devra être examiné soigneusement. 54. M. Lyssarides, Président du Parti socialiste (EDEK), s'est déclaré en faveur d'une solution garantissant le respect des droits de l'homme aussi bien aux Chypriotes grecs qu'aux Chypriotes turcs. La présence d'armées étrangères sur le sol chypriote pour garantir un accord intercommunautaire est inacceptable, sauf s'il s'agit d'un contingent des Nations Unies. La présence des colons dans la partie nord de l'île est une question non seulement démographique, mais aussi politique, car ils risquent de devenir une majorité dans cette partie de l'île. Les partis politiques chypriotes turcs sont mécontents de la politique d'implantation de colons. Le règlement du conflit chypriote passe par le départ des colons, lesquels devront être indemnisés. Il faut cependant être conscients que les colons constituent un appui électoral indispensable pour M. Denktash. 55. M. Kiprianou, Président du Parti démocratique (PD), et Mme Catselli, membre de ce parti et ancien membre de l'Assemblée parlementaire, ont indiqué que la présence des colons dans la partie nord de Chypre constitue une tentative délibérée de changer la structure démographique de Chypre. La question des colons est devenue l'obstacle majeur au règlement du problème chypriote. La Turquie a mené une politique délibérée de colonisation visant à annexer la partie nord de l'île. L'arrivée des colons a coïncidé avec le départ de nombreux Chypriotes turcs. Ces faits ne semblent pas inquiéter les dirigeants de l'Administration chypriote turque qui ont besoin de l'appui électoral des colons. La survie de Chypre passe par le départ des colons. Par ailleurs, à leur présence s'ajoute celle de l'armée turque. Le nombre total de soldats et de colons présents aujourd'hui à Chypre doit dépasser les 80.000. L'installation de ressortissants turcs à Chypre fait partie d'un plan turc dont le but est de rendre plus complexe le problème chypriote. Selon Mme Catselli, l'installation des colons constitue une violation de la 4e Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. La majorité des colons turcs doivent quitter l'île. Ceux qui se sont mariés avec des Chypriotes ont le droit de rester conformément à la législation en vigueur. La Turquie n'évoque le problème humanitaire du retour des colons que lorsque cela lui convient. 56. M. Vassiliou, Président de la République de Chypre, s'est déclaré très heureux de l'intérêt que l'Assemblée parlementaire portait à la question chypriote. Dans le nouveau climat international qui s'installe dans la région, l'Europe, les Etats Unis et la Russie ont intérêt à résoudre le conflit. Certes, la position inflexible de M. Denktash constitue un obstacle à la solution du problème. L'attitude de la Turquie est également très négative car elle encourage l'intransigeance de M. Denktash. Il faut toutefois être confiants, car les Etats Unis préparent de nouvelles propositions qui permettraient de débloquer la situation. La Turquie a toujours prétendu que les deux communautés chypriotes ne peuvent pas vivre ensemble. L'Europe a un rôle très important à jouer dans le conflit chypriote, car elle peut exercer une influence sur la politique turque. A maintes reprises, la Communauté européenne a demandé à la Turquie de faire progresser le dossier chypriote. Pour convaincre la Turquie, il faut avancer des arguments positifs qui mettent en évidence l'intérêt mutuel à trouver une solution dans les plus brefs délais. La politique turque de maintenir le présent statu quo et de poursuivre la colonisation de la partie nord de l'île est inacceptable. 57. Le Président Vassiliou a estimé qu'il y a urgence à résoudre le problème des colons. S'exprimant ainsi, il se faisait l'écho des préoccupations de nombreux Chypriotes turcs pour lesquels la pression politique, démographique, économique et sociale exercée par les colons devient de plus en plus insupportable. Ces Chypriotes turcs ne s'identifient pas avec les colons. Leur présence est le problème le plus grave auquel est aujourd'hui confrontée la population chypriote. Un problème qui risque de s'aggraver avec l'abolition des passeports entre la partie nord de Chypre et la Turquie. Cette mesure administrative pourrait provoquer une nouvelle vague d'immigration. La solution du conflit chypriote passe par le rapatriement des colons. Il faut espérer que le nouveau Gouvernement turc adoptera à l'égard de Chypre une politique moins extrémiste que les gouvernements précédents. Le Président Vassiliou était toutefois conscient du fait que toute nouvelle politique turque se heurte à l'opposition de la bureaucratie du ministère des Affaires extérieures, de l'armée et de certains milieux politiques et d'affaires turcs. 58. Le 6 novembre 1991, j'ai rencontré M. Iacovou, ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre. Celui ci a évoqué les efforts que le Secrétaire général des Nations unies a déployés au cours des derniers mois pour faire avancer le dossier chypriote. L'attitude des autorités turques a toutefois constitué un obstacle insurmontable. Il convient cependant de se demander comment les Chypriotes turcs peuvent engager des négociations avec les Chypriotes grecs sous la pression exercée par la présence, dans la partie nord de l'île, de 35.000 soldats de l'armée turque et entre 60.000 et 80.000 colons venus de Turquie. A leur arrivée, ces colons se sont vu attribuer le droit de vote, déstabilisant ainsi la société chypriote turque. Il existe à présent dans la partie nord de l'île une communauté turque dont le poids se laisse sentir sur le fonctionnement de l'Administration chypriote turque. Depuis 1955, M. Denktash essaie de partager l'île et de diviser les deux communautés. Jusqu'à présent, il a réussi au détriment du peuple chypriote et il ne semble pas décidé à venir à la table de négociations. La Turquie joue également un rôle très négatif dans toute tentative de solution. L'Europe n'a pas exercé suffisamment de pression sur la Turquie malgré les violations flagrantes des droits de l'homme qui se sont produites à Chypre. La Turquie a envahi Chypre pour des raisons politiques et militaires. 59. M. Iacovou a déclaré que, malgré la présence de l'armée d'occupation dans la partie nord de l'île, son gouvernement accepte de négocier en vue d'aboutir à une solution fédérale. Dans une fédération, le gouvernement central garderait les compétences en matière d'affaires étrangères, tandis que toutes les autres compétences reviendraient aux organes institutionnels des deux communautés. Mais récemment la Turquie a formulé une nouvelle revendication, celle de l'égalité politique des deux communautés, qui entraînerait la création de deux Etats à Chypre avec une frontière parfaitement définie. Le Gouvernement chypriote rejette une telle approche, car Chypre est un seul pays composé de deux communautés au sein desquelles les citoyens sont sur un pied d'égalité. Toute solution, qui consacrerait une séparation des deux communautés, serait une sorte d'apartheid et une violation flagrante des droits de l'homme. Il ne faut pas oublier que la Turquie a installé des colons turcs dans la partie nord de l'île, auxquels ont été remises des propriétés appartenant à des Chypriotes grecs en flagrante violation de la 4e Convention de Genève. Le Gouvernement chypriote dispose de beaucoup de données sur le phénomène de la colonisation. 60. Selon M. Iacovou, ma visite constituait une première tentative d'évaluer objectivement le nombre de colons installés à Chypre. L'Administration chypriote turque a effectué en 1990 un recensement de la population de la partie nord, mais jusqu'à présent, elle a refusé de publier les résultats. Au problème des colons s'ajoute la présence des troupes d'occupation de l'armée turque. Leur départ, comme celui des colons, est nécessaire pour pouvoir engager une négociation entre les deux communautés. Pour conclure, M. Iacovou m'a fait part de sa déception devant l'attitude adoptée très souvent par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe à l'égard de la question chypriote.
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