Avec l'Admistration chypriote Turque

 

b. Dans la partie contrôlée par l'Administration chypriote turque

61. Le matin du 6 novembre 1991, j'ai traversé la ligne de démarcation entre les deux parties pour m'entretenir avec les dirigeants de l'Administration chypriote turque ainsi qu'avec les représentants des différents partis politiques. Selon le programme établi par les autorités, j'ai tout d'abord été reçu par M. Atun, député du parti de l'unité nationale (PUN), qui s'est présenté en qualité de Président de l'Assemblée législative chypriote turque. Cette institution, tout comme la République turque du nord de Chypre, n'est pas reconnue par le Conseil de l'Europe. Ma position en tant que Rapporteur est exactement la même.

62. M. Atun a tenu à rappeler que la ligne de démarcation est née de l'exclusion des Chypriotes turcs des institutions de l'Etat chypriote. Cette ligne a permis d'établir la paix entre les deux communautés. La crise remonte à 1963 lorsque de nombreux Chypriotes turcs, victimes des attaques chypriotes grecs, ont dû se réfugier dans des enclaves, où progressivement l'Administration chypriote turque a établi sa propre autorité. Depuis 1974, l'armée turque défend la paix et les droits des Chypriotes turcs à leur souveraineté. Chaque communauté est heureuse de vivre dans la présente situation. Les Chypriotes turcs voudraient la réunification, mais aussi l'indépendance, dans le cadre d'une solution durable et équitable. C'est une réalité historique que les Chypriotes grecs ont provoqué le présent conflit.

63. Cet entretien e été suivi de la réunion avec des experts désignés par l'Administration chypriote turque. Ceux – ci ont déclaré à titre préliminaire qu'ils auraient souhaité présenter les données relatifs à la population dans la partie nord de Chypre dans l'enceinte du Conseil de l'Europe où, depuis 1973, la communauté chypriote turque ne peut pas faire entendre sa voix. Les experts ont tenu à souligner le caractère dynamique des flux de population dans la partie nord de l'île, ce qui rend extrêmement difficile de donner des chiffres précis. L'augmentation de la population enregistrée dans la partie nord entre 1975 et 1981 est le résultat de l'arrivée de migrants en provenance de Turquie. Parmi ceux - ci, il y avait un grand nombre de Chypriotes turcs qui retournaient sur l'île qu'ils avaient quittée pendant les troubles des années 60 et 70. Les experts ont déclaré ne pas disposer des données ni sur les mouvements migratoires dans la partie nord de l'île ni sur les naturalisations qui s'étaient produites depuis 1974.

64. Ayant exprimé ma déception face à cette absence de données, un des experts a indiqué qu'entre 1975 et 1977, 25.000 migrants sont arrivés dans la partie nord de l'île. Ce chiffre serait à rapprocher de celui de 20.000 Chypriotes turcs qui avaient quitté l'île entre 1963 et 1974. Depuis cette date, le nombre de naturalisations s'élèverait à 17.000. Dans le cadre des accords économiques entre la Turquie et l'Administration chypriote turque, 3.784 ressortissants turcs sont venus travailler dans l'île. Mais il faudrait ajouter à ce chiffre quelque 1.500 travailleurs turcs en situation irrégulière.

65. D'autres experts présents ont insisté sur le caractère extrêmement variable de la proportion entre les populations des deux communautés. Sous l'Empire ottoman, les Chypriotes grecs le sont devenus à leur tour. Selon les experts, la question démographique s'est posée avant 1974. Entre 1960 et 1967, 20.000 soldats de l'armée grecque ont stationné à Chypre et certains y sont restés.

66. Dans l'après - midi du 6 novembre 1991, j'ai rencontré M. Kotak, Président du Parti libéral démocratique (PLD). Le PLD a obtenu 15% des suffrages exprimés lors des dernières élections. Avec deux députés, il est dans l'opposition au Parti de l'unité nationale (PUN). Il se situe dans la mouvance sociale – démocrate et sur le plan politique, il ne refuse pas la solution fédérative. M. Kotak a tenu à rappeler que Chypre a toujours été au centre d'importants phénomènes migratoires. Après la seconde guerre mondiale, de nombreux Grecs d'Egypte sont venus s'installer dans l'île. Entre 1957 et 1963, à cause des attaques chypriotes grecques, de nombreux Chypriotes turcs ont quitté l'île. La population chypriote turque qui était en 1974 de 110.00 personnes est passée actuellement à 165.000. La population chypriote grecque a dû augmenter de façon semblable. La partie sud connaît une explosion démographique dont nul ne fait état. 25.000 Libanais sont venus s'installer dans la partie sud de Chypre. Depuis 1974, l'Administration chypriote turque a dû faire appel à une main – d'oeuvre extérieure pour faire face aux besoins dans différents secteurs d'activité économique.

Mais moins de 30.000 Turcs sont venus s'installer dans la partie nord de l'île au cours des 17 dernières années, soit comme techniciens soit comme agriculteurs ou bergers. La partie nord de l'île est victime d'un embargo économique qui la rend très dépendante de la Turquie. Ceci explique que des travailleurs turcs viennent sur l'île pour occuper des emplois temporaires. Les rapports entre les migrants turcs et la communauté chypriote turque sont excellents. Au sein du PLD, 50% des membres sont d'origine turque.

67. M. Altinisik, Secrétaire général du Parti de la renaissance (PR), m'a indiqué que son parti, fondé en 1984, se considère libéral. Avec 11% des voix, il dispose de deux députés qui sont dans l'opposition. Toute solution du problème de Chypre doit tenir compte des événements intervenus entre 1960 et 1974. Depuis 1974, l'île connaît une période de paix parce que chaque communauté a sa propre souveraineté. Peut – être la voie de la fédération ou de la confédération permettrait de résoudre le conflit sur un pied d'égalité. Entre 1975 et 1977, la partie nord de l'île a connu une vague d'immigration. De nombreux Chypriotes turcs qui étaient partis en Turquie, au Royaume - Uni et en Australie sont retournés sur l'île.

68. M. Altinisik a reconnu qu'il était né à Ankara, qu'il était arrivé à Chypre en 1975 et qu'au bout de cinq ans, il avait été naturalisé Chypriote turc. Entre les Chypriotes turcs et les Turcs qui vivent dans l'île, existent de nombreux liens de famille. Parmi les membres de son parti, 75% sont nés en Turquie. Il estime à 8.000 le nombre de migrants turcs qui seraient arrivés à Chypre en 1975. Depuis, l'accroissement naturel de la population a dû probablement doubler ce chiffre. Les migrants appartiennent généralement à deux catégories professionnelles; ils sont soit des cadres, soit des paysans.

69. M. Vehbi, Président du Parti social démocrate (PSD), m'a expliqué que son parti avait été fondé en 1982 par le fils de M. Denktash. Le PSD est partisan de la paix entre les deux communautés, mais dans des conditions favorables, car les Chypriotes turcs ne peuvent pas renoncer à certains de leurs droits. La population chypriote turque ne veut pas revenir à une situation d'affrontements avec les Chypriotes grecs. Depuis 30 ans, les Chypriotes turcs sont animés par un souci de sécurité, celle - ci ne peut venir que de la Turquie. L'exigence de paix et de sécurité comporte la nécessité de deux zones séparées. la réunification interviendra lorsque la confiance sera rétablie. Pour le PSD, les questions économiques sont au centre du conflit chypriote. L'instabilité antérieure à 1974 résultait du fait que la communauté chypriote turque, 20% de la population de l'île, ne participe qu'à hauteur de 10% aux projets économiques. A l'heure de trouver une solution au présent conflit, les autorités chypriotes grecques ne peuvent prétendre que 60 à 70.000 Chypriotes grecs viennent s'installer dans le nord. Ceci constituerait un risque pour la population chypriote turque, car ils amèneraient avec eux leurs organisations terroristes secrètes. Il est vrai que depuis 1974 un certain nombre de migrants turcs se sont installés dans la partie nord de Chypre. Parmi ces migrants, 25.000 se seraient naturalisés. Il faudrait encore ajouter à ce chiffre entre 5 et 6.000 travailleurs saisonniers turcs. Un problème plus délicat est cependant celui des travailleurs irréguliers qui sont exploités par des patrons peu scrupuleux, dans le secteur du bâtiment et dans l'agriculture. Du point de vue social, un grand nombre de migrants turcs font partie des catégories les moins favorisées de la population. Mais parmi les migrants, il y a aussi un certain nombre d'hommes d'affaires. Avec seulement un député, le PSD pèse très peu face au Parti de l'unité nationale de M. Denktash qui dispose de 45 députés sur 50.

70. M. Konuloglu, Secrétaire général du syndicat Türk - Sen, a estimé à 10 – 15.000 le nombre de travailleurs syndiqués dans la partie nord de l'île sur un total de 70.000. Ce faible taux d'affiliation laisse pleine liberté d'action aux autorités. Les syndicats sont extrêmement préoccupés par la présence de travailleurs irréguliers turcs qui entraîne une importante baisse des salaires. Beaucoup de ces travailleurs irréguliers sont amenés à Chypre par des entreprises turques pour travailler dans l'agriculture, le bâtiment ou les travaux publics. En 1986, les accords passés entre la Turquie et l'Administration chypriote turque permettaient l'émigration d'ouvriers qualifiés selon les besoins de la partie nord de l'île. Mais les entreprises ont fait venir des ouvriers non qualifiés. En conséquence, les ouvriers chypriotes turcs éprouvent de grandes difficultés à trouver des emplois dans certains secteurs d'activité économique. Le Türk - Sen ne dispose pas de statistiques sur le nombre de migrants turcs arrivés à Chypre ni sur le nombre de naturalisations. Quant aux travailleurs irréguliers, leur nombre est estimé à 10.000. Très souvent, ils arrivent comme touristes et se voient réquisitionner leurs passeports par les employeurs. M. Konuloglu n'a pas été en position de répondre à la question que je lui ai posée sur l'existence de réseaux organisés de main – d'oeuvre irrégulière.

71. Donnant suite à sa demande, je me suis rendu dans la soirée du 6 novembre 1991, au siège du Parti du Nouveau Chypre (PNC) pour m'entretenir avec son Président, M. Durduran, qui n'avait pas été inclus dans le programme d'entretiens. Le parti a été fondé en 1989 suite à une scission au sein du Parti de libération communale (PLC) (voir paragraphe 76). A l'époque M. Durduran avait été écarté de ce parti en raison de son opposition à la présence turque à Chypre. Le PNC se considère comme un parti de gauche qui accorde beaucoup d'importance à la démocratie et aux droits de l'homme. Le PNC estime urgent de trouver une solution au problème chypriote, car la communauté chypriote turque est en train de devenir minoritaire face au nombre croissant de Turcs installés sur l'île. En l'absence d'un recensement officiel, le PNC estime à 55.000 le nombre de Turcs naturalisés chypriotes depuis 1974. Ces migrants naturalisés votent pour les partis qui ne veulent pas une solution du conflit chypriote. Le parti de M. Durduran refuse la naturalisation des migrants turcs. Cette attitude est probablement à l'origine des deux attentats dont le siège du parti a été victime. La plupart des migrants turcs fournissent une main – d'oeuvre bon marché qui provoque une baisse des salaires. De nombreux emplois, surtout dans l'artisanat, se perdent à cause de l'immigration turque. Beaucoup de Chypriotes turcs sont ainsi obligés d'émigrer afin de gagner leur vie.

72. Le lendemain, 7 novembre 1991, j'ai commencé la journée avec une rencontre avec M. Soye, Secrétaire général du Parti républicain turc (PRT). Le parti est en faveur d'une fédération chypriote, défend les droits de l'homme et une plus grande justice sociale. Le problème de l'immigration dans la partie nord de Chypre n'est pas lié au conflit entre les deux communautés chypriotes. Certes, les conflits intercommunautaires avaient débuté en 1963, mais les Chypriotes doivent trouver une solution sans rester attachés au passé. Depuis 1974, s'est produit un important transfert de population de la Turquie vers Chypre, présenté comme nécessaire pour des raisons économiques, mais qui a provoqué un changement dans l'identité culturelle chypriote turque. Le PRT estime à 30.000 le nombre de migrants turcs établis à Chypre. Suite à un accord secret conclu entre la Turquie et l'Administration chypriote turque, la plupart de ces personnes qui venaient de la campagne turque, ont eu d'importantes difficultés d'adaptation, mais ont accédé facilement à la nationalité chypriote. Chaque élection a été précédée d'une vague de naturalisations. Des personnalités, comme MM. Ozal ou Ecevit, sont des citoyens chypriotes turcs. La loi de naturalisation permet l'adoption de telles mesures. Pour cette raison, le PRT a boycotté l'Assemblée législative chypriote turque issue des élections de 1990. Lors des précédentes élections de 1985, il avait recueilli 22% des voix.

73. D'autre part, les autorités ferment les yeux à l'arrivée de travailleurs clandestins. Ceux - ci sont exploités et privés de tous leurs droits. Ils travaillent et vivent dans des conditions inhumaines et sont logés dans des anciennes maisons de Nicosie transformées en pensions. Leur présence sur le marché du travail a provoqué une baisse des salaires. L'immigration turque à Chypre est un obstacle supplémentaire à la solution du conflit chypriote. Pour résoudre celui - ci, il faudra trouver également une solution au problème des migrants turcs. Il y a eu des mariages mixtes dont il faudra tenir compte à l'heure de discuter de l'avenir des migrants. Le PRT est conscient du souci de sécurité qu'éprouve la population chypriote turque; pour cette raison, la garantie de la Turquie est très importante. Mais dans ce cadre, le PRT souhaite que Chypre, dans son ensemble, puisse atteindre le niveau de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui caractérise les pays membres du Conseil de l'Europe. L'attitude antidémocratique des autorités de l'Administration chypriote turque et l'ingérence du Gouvernement turc dans les affaires intérieures de Chypre constituent un obstacle important dans la marche de Chypre vers la démocratie.

74. Le PRT est en faveur des contacts entre Chypriotes turcs et Chypriotes grecs. Lorsque la question des migrants a été évoquée avec des représentants de partis chypriotes grecs, le PRT, malgré son opposition à leur installation à Chypre, a insisté sur la nécessité de résoudre les problèmes humanitaires découlant de leur présence. Toutefois, le problème est devenu tellement grave que de plus en plus de jeunes Chypriotes turcs, ne voyant pas de possibilités d'avenir dans l'île, émigrent vers le Royaume – Uni et l'Australie. D'après le PRT, quelque 30.000 Chypriotes turcs auraient quitté l'île entre 1985 et 1990. Cette émigration continuera tant qu'une solution au problème chypriote ne sera trouvée. Les Chypriotes turcs ne souhaitent pas vivre dans une province de la Turquie, mais dans une fédération chypriote.

75. Le PRT, lorsqu'il participait aux travaux de l'assemblée législative chypriote turque, avait demandé des informations sur la présence militaire turque dans l'île. M. Denktash avait déclaré que ces données étaient secrètes. Selon la législation en vigueur dans la partie nord de l'île, tant que le conflit chypriote persiste, les forces armées, la police et toutes les forces de sécurité dépendent des autorités turques. D'après les chiffres publiés par la presse, le PRT estime que le nombre de soldats turcs à Chypre se situe entre 20.000 et 30.000. La plupart d'entre eux rentrent en Turquie une fois terminées leurs obligations militaires. Seuls quelques officiers à la retraite se sont installés définitivement à Chypre, attirés par les promesses des autorités de leur faciliter l'accès à la propriété, pratique tout à fait contraire au droit international.

76. La rencontre avec M. Akinci, Président du Parti de libération communale (PLC), a conclu la série d'entretiens avec les représentants des partis politiques chypriotes turcs de l'opposition. Le PLC s'était présenté aux élections de 1985 recueillant 16% des suffrages. Lors des élections locales de 1986, il était devenu le deuxième parti chypriote turc avec 25% du nombre total de maires et conseillers municipaux. Comme le PRT, il a boycotté l'Assemblée législative chypriote turque issue des élections de 1990 en raison de l'ingérence turque. Celle – ci s'est manifestée par le biais de l'Ambassade de Turquie à Nicosie, des officiers de l'armée turque et des programmes de la télévision turque captés à Chypre. Par ailleurs, selon le PLC, la loi électorale contient toute une série de dispositions antidémocratiques. Lors de élections partielles de 1991, le Parti de l'unité nationale (PUN) de M. Denktash a recueilli les voix de seulement 35% du nombre total d'électeurs. M. Akinci a tenu aussi à signaler que sur un total de 106.303 électeurs, 50.645 se sont abstenus, ce chiffre incluant les 15.822 qui ont voté blanc. Depuis les élections de 1990, la démocratie n'existe plus dans la partie nord de Chypre, car il s'agit d'un régime de parti unique.

77. M. Akinci s'est déclaré très satisfait de voir le Conseil de l'Europe s'intéresser à la structure démographique de Chypre. Le pays est dans une situation invraisemblable. Le nombre de Chypriotes turcs n'est pas connu. Les données obtenues lors d'un recensement effectué en 1990 n'ont pas été rendues publiques malgré les demandes formulées par les partis de l'opposition. Le transfert de population en provenance de Turquie se produit encore et risque de s'accroître avec la levée de l'obligation de disposer d'un passeport pour se rendre de Turquie à Chypre. Parmi les migrants arrivés de Turquie, il faut distinguer deux catégories. Tout d'abord ceux qui sont arrivés de façon organisée entre 1974 et 1980 et dont le nombre n'a jamais été officiellement communiqué. Ensuite ceux qui, au cours des dernières années, viennent comme travailleurs temporaires ou irréguliers. L'arrivée de ces migrants turcs a provoqué une baisse des salaires et l'émigration de nombreux jeunes chypriotes turcs vers des pays du Commonwealth. Les migrants irréguliers vivent dans des conditions déplorables près de la ligne de démarcation dans des maisons abandonnées et presque détruites.

78. Le PLC considère que le nombre de migrants turcs arrivés à Chypre de situe entre 40 et 45.000. Ce chiffre n'inclurait pas les travailleurs irréguliers. Si l'on ajoute à ces chiffres les 30 à 35.000 soldats turcs, il est évident que les Chypriotes turcs sont en train de devenir une minorité dans leur propre pays. Pour cette raison, le PLC est favorable à une solution au problème de Chypre dans un contexte européen. Le statu quo présent ne peut pas être accepté comme une solution. Le PLC a beaucoup apprécié la possibilité de contacter un représentant de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe parce que seuls les représentants des partis qui soutiennent M. Denktash sont autorisés à se rendre à Strasbourg.

79. Toujours dans la partie contrôlée par l'Administration chypriote turque, j'ai rencontré M. Kumcuoglu, Ambassadeur de Turquie à Nicosie. Celui - ci a rappelé que la Turquie a reconnu internationalement l'Etat chypriote turc et qu'elle considère que la vraie République de Chypre n'existe plus car elle a été détruite. Son rôle à Chypre est double: être l'Ambassadeur de la Turquie auprès de la République turque du nord de Chypre' et représenter la Turquie en tant que cofondateur et garant de l'Etat chypriote. Sa position légitime est donc beaucoup plus importante que celle de M. Vassiliou.

80. D'après l'Ambassadeur, la Turquie a signé des accords avec 18 pays membres du Conseil de l'Europe exonérant les ressortissants de ces pays de l'obligation de se munir d'un passeport pour visiter le pays. La Turquie a reconnu ce même droit, sur une base de réciprocité, aux citoyens chypriotes turcs. Mais le fait qu'il n'y ait pas de contrôle de passeports n'implique nullement que les Turcs puissent venir librement à Chypre. Ils doivent présenter une pièce d'identité dont les données sont introduites dans un système informatisé. La grande majorité des Turcs qui se trouvent à Chypre, y séjournent en tant que touristes. Etre en possession d'un passeport n'empêche nullement une personne de travailler de façon irrégulière. Ceux qui souhaitent travailler à Chypre nécessitent un permis de travail. Selon les statistiques turques, 2.200 travailleurs turcs travaillent régulièrement à Chypre. Les travailleurs irréguliers seraient au nombre de 1.500. Dans les établissements d'éducation supérieure chypriotes sont inscrits 4.000 étudiants turcs. Certains d'entre eux pourraient occasionnellement travailler. En Turquie toutes les institutions universitaires sont ouvertes aux Chypriotes turcs. A l'heure actuelle, 3.000 étudiants chypriotes turcs suivent des études en Turquie. Cette pratique n'a pas besoin d'accords spécifiques. Chaque université établit le cadre juridique de cette coopération. Dans les universités chypriotes turques, il y a des professeurs étrangers, mais en nombre très limité.

81. Ayant évoqué la question de la présence des forces armées turques à Chypre, l'Ambassadeur a tenu à rappeler que la Turquie a été obligée d'intervenir en 1974 suite au coup d'Etat de M. Sampson. Entre 1963 et 1974, les Chypriotes turcs ont été victimes des attaques des Chypriotes grecs. Les forces armées turques sont intervenues en vertu du Traité de garantie de 1960. Leur présence est nécessaire tant que le conflit entre les deux communautés persiste. Les installations de l'armée turque à Chypre ne sont pas permanentes. Pour cette raison, les officiers et les soldats sont obligés de quitter l'île à la fin de leur service militaire. S'il est vrai que la présence de l'armée est une donnée démographique, il faut aussi reconnaître que son rôle est très important pour le maintien de la paix. Le nombre de soldats présents sur l'île est celui jugé nécessaire pour accomplir cette tâche. En tant qu'Ambassadeur, il n'était pas autorisé à révéler ce nombre qui constitue un secret militaire.

82. J'ai demandé à l'Ambassadeur de préciser le nombre de citoyens turcs qui seraient venus à Chypre depuis 1974. Il a reconnu que, depuis 1974, les flux de population entre la Turquie et la partie nord de Chypre se sont accrus. De nombreux Turcs sont venus à Chypre, mais aussi des Chypriotes turcs sont partis s'installer en Turquie. Mais les autorités turques n'ont pas estimé nécessaire de tenir des statistiques de ces mouvements de population. Les autorités de l'Administration chypriote turque doivent connaître le nombre de ces personnes. J'ai insisté sur ce point et M. l'Ambassadeur Kumcuoglu m'a indiqué que, de 1974 à 1990, le nombre de Turcs arrivés à Chypre serait de l'ordre de 17.000. Répondant à mes questions, M. l'Ambassadeur a précisé qu'il n'existe pas de registre consulaire des citoyens turcs établis à Chypre, car un ressortissant turc résidant à Chypre n'a besoin de déclarer sa présence que s'il souhaite se marier. Depuis 1974, le consulat a eu connaissance de 1.500 mariages mixtes.

83. Après mon entretien avec l'Ambassadeur de Turquie, je me suis rendu à la résidence de M. Denktash, fondateur du Parti de l'unité nationale (PUN), qui m'a été présenté en tant que Président de la République turque du nord de Chypre1. L'entretien est devenu en fait un long exposé de M. Denktash. Il a déclaré que depuis 28 ans les Chypriotes turcs essaient de ne pas se soumettre aux Chypriotes grecs. Le Président Makarios porte la responsabilité d'avoir détruit en 1963 l'Etat chypriote. Les Chypriotes turcs et les Chypriotes grecs ont toujours vécu comme deux communautés séparées. Aujourd'hui, malgré la lourde responsabilité des Chypriotes grecs dans les événements survenus dans l'île, le seul Etat reconnu intemationalement est la République de Chypre. Sans l'intervention turque en 1974, il n'existerait aujourd'hui plus aucun Chypriote turc sur l'île. L'Administration chypriote turque n'a rien à cacher au Conseil de l'Europe. Des experts indépendants, après avoir visité le pays, ont déclaré que les droits de l'homme y étaient respectés. L'Administration chypriote turque n'a pas essayé de changer la structure démographique de l'île. Elle a simplement amené la main – d'oeuvre nécessaire aux besoins de l'économie. Parmi les migrants turcs qui sont arrivés en 1974, la moitié sont retournés dans leur pays et le reste a été naturalisé. C'est vrai qu'aujourd'hui, il y a quelques travailleurs en situation irrégulière, mais s'ils sont arrêtés, ils sont expulsés du pays. Le gouvernement qui a été établi par la communauté chypriote turque n'a pas besoin des Chypriotes grecs. Des accords sont possibles pour les propriétés qui sont restées abandonnées des deux côtés, mais les Chypriotes grecs ne sont pas prêts à partager le pouvoir avec les Chypriotes turcs car ils les considèrent comme une minorité. Entre 1963 et 1974, les Chypriotes turcs ont été chassés du gouvernement et nombreux ont ceux qui ont dû quitter le pays. La connaissance de ce qui s'est passé à cette période permet de mieux connaître le problème chypriote. La communauté chypriote turque rejette toute accusation de changer la démographie de l'île. M. Denktash a formulé le souhait que les Chypriotes turcs, qui ont été privés de leurs droits par les Chypriotes grecs, ne soient pas victimes, de la part du Conseil de l'Europe d'un procès d'intention. Les Chypriotes turcs ont essayé de construire un Etat et ils ont besoin d'être entendus par cette Europe dont ils font partie.

84. A la fin de l'entretien, j'ai rappelé à M. Denktash que je m'étais rendu à Chypre pour donner suite au mandat qui m'avait été confié par la Commission, que j'avais visité le nord et le sud et entendu toutes les parties concernées.

 

 1. Cette référence n'implique aucune reconnaissance de la part du Rapporteur.

 


Remonter ] Avec le Gouvernement de la Rép. de Chypre ] [ Avec l'Admistration chypriote Turque ] Avec les forces des ONU ]