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LA POLITIQUE DE LA "TERRE BRULEE" ET DE LA DISPERSION DES KURDES SOUS LE PRETEXTE DE LA "LUTTE CONTRE LE TERRORISME SE PARATISTE".
Ankara ne cesse de demander la compréhension de ses alliés envers les violations massives des droits de 1'homme qui résulteraient des "conditions difficiles de la lutte contre une organisation terroriste menaçant 1'intégrité territoriale du pays". Cet argument qui, à première vue, peut peut-être paraître, "raisonnable" à certain de ceux qui pensent que tout Etat a le droit de défendre par tous les moyens son intégrité territoriale n'est en vérité qu'un thème de propagande dans la vaste panoplie de "désinformation" préconisée par le président Ozal dans sa lettre confidentielle d'avril 1993 adressée à son Premier ministre Demirel que nous reproduisons plus loin dans ce dossier D'abord, faut-il le rappeler, avant même le déclenchement de l'insurrection du PKK, en août 1984, la Turquie perpétuait sur une échelle sans équivalent dans un pays européen contemporain, des violations massives des droits de l'homme. Selon le quotidien turc Cumhuriyet du 12 décembre 1989, après le coup d'Etat militaire de septembre 1980, 650.000 personnes ont été gardées à vue et 210.000 procès ont été intentés à la suite de ces gardes à vue; plus de 100.000 personnes ont été condamnées à des peines diverses; les tribunaux militaires ont requis 6353 peines capitales; 50 personnes ont été pendues, 171 personnes sont mortes sous la torture, 30.000 personnes ont dû quitter la Turquie pour des raisons politiques et 14.000 d'entre elles ont été déchues de leur nationalité sur décision du Conseil des ministres; 133.000 livres ont été brûlés et 118.000 autres mis au pilon; 29.000 fonctionnaires, magistrats, policiers et enseignants ont été licenciés; 937 films de cinéma dont 114 de Yilmaz Güney, ont été interdits; 23.667 associations ont été interdites d'activités et dissoutes. Dans son livre, La Prison No5, onze ans dans les geôles turques (Editions Arléa, Paris 1995), Mehdi Zana donne un témoignage accablant sur la torture et les autres humiliations horribles de cette période ou' il n'y avait pourtant ni le PKK ni menace terroriste ! Cinq pays européens - France, Danemark, Norvège, Pays-Bas, Suède - avaient d'ailleurs déposé, en 1982, une plainte collective contre la Turquie devant la Cour européenne des droits de l'homme pour violations massives et caractérisées de la Convention européenne des droits de l'homme. Le PKK au départ un des nombreux groupuscules de la galaxie gauchiste, a pu se développer sur ce terreau de la terreur d'Etat. Il est, en fait, un produit de 1'intolérable politique kurde d'Ankara. Le déclenchement de la lutte armée du PKK, largement amplifiée et magnifiée par les médias gouvernementaux à ses débuts, a fourni aux autorités turques l'alibi tant attendu pour remettre en application, leur politique dévacuation du Kurdistan et de dispersion des Kurdes visant à déterritorialiser la question kurde et à assimiler progressivement les Kurdes déracinés. Cette politique, conçue au début du siècle, est 1'ultime étape du grand dessin turc de création d'un Etat-nation turc ayant une seule langue et une seule culture. Dans ce cadre, la Turquie extermina en 1915 sa population arménienne puis, dans les années 1920, elle expulsa 1.200.000 Grecs d'Anatolie vers la Grèce dans la plus vaste entreprise de purification ethnique de la période d'entre deux guerres. Dernière population autochtone non turque, les Kurdes devaient également être déportés et disperses aux quatre coins du pays. Un tiers d'entre eux fut effectivement déporté dans les années 1925-1939. Ankara alla jusqu'à promulguer le 5 mai 1932 une loi de déportation et de dispersion des Kurdes pour donner un fondement juridique à sa politique et la systématiser. Celle-ci a dû être interrompue par les impératifs de la Deuxième Guerre Mondiale. Mettant à profit une conjoncture internationale favorable et "le prétexte de la lutte contre le terrorisme" la Turquie procède donc ainsi ouvertement a' la dékurdisation du Kurdistan et à la dispersion des Kurdes. Le président Ozal fixe même un objectif chiffré a' cette politique; ((ii ne doit rester que 2 à 3 millions de Kurdes" dans cette région, vaste comme la moitié de la France ou' en 1980 on dénombrait plus de 10 millions d'habitants ! Dans une interview accordée récemment au quotidien Hüirriyet, le général Güres, ancien chef d'état-major des armées affirme; "l'objectif était de disperser un maximum de Kurdes. Le président Ozal disait dispersez-lez !, dispersez-les !". C'est dans cette optique qu'il faudrait analyser ce que les responsables du Département d'Etat américain, cité par le rapport de Human Rights Watch publié le 21 novembre 1995 (Cf. Documents) appellent "la stratégie de terre brûlée" pratiquée en pays kurde par les forces turques. Cette organisation humanitaire américaine après de longs mois denquête établit, 29 "cas" où "des armes américaines, en particulier des bombardiers, ont été utilisés dans l'attaque contre des villages civils et des hélicoptères de fabrication américaine ont été utilisés dans une vaste gamme de pratiques abusives, y compris la destruction de villages, exécutions extra - judiciaires, torture et mitraillage indiscriminé". Le rapport cite également l'utilisation des armes de fabrication allemande, britannique et belge dans la guerre contre les civils kurdes. Il évoque aussi des "violations substantielles des lois de la guerre par le PKK, y compris les exécutions sommaires, fusillade indiscriminée et le fait de viser intentionnellement des non combattants". Ces violations et les violences commises par ses militants en Europe ont valu au PKK dêtre déclaré "organisation terroriste" et dêtre interdit en Allemagne et en France. Alors que l'Etat turc qui pratique une politique de terre brûlée au Kurdistan, qui a rayé de la carte plusieurs milliers de villages kurdes, qui a bombardé et brûlé une dizaine de millions d'hectares de forêts kurdes (Cf. plus loin le témoignage de Yachar Kemal) continue dêtre considéré comme un partenaire tout à fait fréquentable ! Enfin, faut-il le rappeler, aucun mouvement kurde de Turquie, y compris le PKK, ne remet en cause les frontières existantes Le séparatisme n'existe que dans l'esprit des dirigeants turcs pour qui tous ceux qui affirment l'existence des Kurdes, d'une langue ou d'une culture kurdes sont des séparatistes et des racistes. Pour Ankara les seuls Kurdes non racistes et non séparatistes sont ceux qui restent silencieux ou ceux qui disent publiquement : "quel bonheur dêtre turc !" conformément à l'idéologie officielle de l'Etat !
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