Le problème des Colons venus de Turquie |
LE PROBLEME DES COLONS VENUS DE TURQUIE 88. Après avoir entendu toutes les parties, je crois que ma première obligation, en tant que Rapporteur, est d'éviter le piège de m'engager dans une guerre de chiffres. Tout le monde reconnaît qu'il y a eu, à partir de 1975, une arrivée de ressortissants turcs dans la partie nord de Chypre. Pour les uns, ces personnes font partie d'un mouvement migratoire de dimensions réduites; pour les autres d'une colonisation en bonne et due forme. Si, à partir de ce moment, je me permets d'utiliser le terme "colon" pour désigner ces personnes, c'est parce que, d'après les témoignages recueillis, elles venaient bel et bien s'installer et travailler sur un territoire dépeuplé. 89. C'est un fait admis par les deux parties que deux premières vagues particulièrement importantes sont arrivées en 1975 et en 1977. Elles ont eu probablement un caractère massif car, même en admettant les estimations les plus basses, elles représentaient l'arrivée d'un groupe de personnes constituant plus de 10% de la population chypriote turque de l'époque. Simultanément, l'armée turque s'est installée aussi de façon permanente. Par la suite, un flux migratoire moins important, mais continu, s'est maintenu bien que son impact sur la population totale a été moindre en raison de l'émigration des Chypriotes turcs qui s'est produite en même temps. 90. Il y a aussi accord pour reconnaître qu'il y a deux grandes catégories de colons turcs. La grande majorité des colons sont des paysans et des bergers qui mènent dans la partie nord de Chypre une vie semblable à celle qu'ils menaient en Anatolie. L'autre catégorie est celle constituée par des cadres, des hommes d'affaires ainsi que des officiers de l'armée turque à la retraite. Ils sont une minorité qui toutefois semble exercer une influence considérable sur la classe dirigeante chypriote turque. 91. Il ne m'a pas été possible de constater personnellement si les colons étaient installés dans certains villages plutôt que dans d'autres. D'après le témoignage des Professeurs Heinritz et Brey, les mouvements de population qui ont suivi les événements de 1974, auraient pu provoquer le dépeuplement de certains villages de la partie nord. Or, lors de leurs visites à la partie nord de Chypre, les deux Professeurs ont pu constater que tel n'est pas le cas et que des colons s'étaient installés dans les villages qui avaient été abandonnés par les Chypriotes grecs. 92. Surtout dans ces villages, les colons ont conservé leurs caractéristiques sociales, économiques et culturelles d'origine. De ce fait, ils sont perçus par un certain nombre de Chypriotes turcs comme des éléments étrangers à leur pays. Certains de mes interlocuteurs ont même prétendu que les colons seraient animés par un fondamentalisme religieux qui provoquerait des tensions entre les colons et les Chypriotes turcs. Ces derniers plus ouverts aux courants de pensée européens seraient moins respectueux des obligations religieuses. Cette tension risque de devenir une réelle animosité. 93. Comme il a été signalé par l'Ambassadeur de Turquie à Nicosie, il n'existe pas de registre consulaire où figureraient les ressortissants turcs qui seraient venus à Chypre. Toutefois, ceci ne doit pas laisser croire qu'il n'existe pas de rapports entre les colons et les autorités turques. Pour la grande majorité des colons, leur transfert à Chypre a été la conséquence d'une décision des autorités turques et, en ce sens, ils se sentent redevables de leur présente situation. De ce fait, selon certains de mes interlocuteurs, ils seraient particulièrement sensibles aux messages qui leur parviendraient des autorités turques, en particulier, au moment des élections. L'élite des colons serait davantage sensible à l'influence turque. Certains prétendent même que l'Ambassade de Turquie a été à l'origine de la formation du Parti de la renaissance, la principale formation politique des colons. 94. La politique de l'Administration chypriote turque à l'égard des colons a visé à promouvoir leur installation définitive dans l'île. La concession de logements, de terres ou d'autres propriétés, se fait selon un régime particulier aux colons. En effet, ceux - ci se voient délivrer un "certificat de concession" qu'ils n'ont le droit ni de vendre ni de transmettre à un tiers avant une période de vingt ans. 95. Toutefois, la mesure la plus importante pour les colons est la possibilité qui leur est offerte d'accéder à la nationalité chypriote turque. En 1975, l'Administration chypriote turque a édicté la loi no. 3/1975, selon laquelle la nationalité pouvait être accordée à qui en faisait la demande et, en particulier, aux membres des forces armées turques ayant servi à Chypre, aux épouses, enfants et frères des membres de ces forces armées qui seraient tombés à Chypre pendant la période allant du 20 juillet 1974 au 20 août 1974, ou à des personnes ayant servi dans les rangs de l'Organisation turque de résistance à Chypre ou en Turquie. 96. En 1981, un Règlement sur l'acquisition de la nationalité de l'Etat dans des cas exceptionnels est venu compléter ces dispositions. Ce texte prévoit notamment l'octroi de la nationalité chypriote turque à des personnes établies en permanence dans la partie nord de Chypre depuis au moins un an, aux personnes ayant apporté ou pouvant apporter une contribution importante à l'économie, à ceux ayant contribué à la vie sociale et culturelle, au développement des relations extérieures, à l'élévation du niveau d'éducation, à tous ceux qui ont rendu des services dont la continuité s'avère nécessaire pour les forces de sécurité. Cependant, dans tous les cas, des preuves doivent être fournies. Une disposition finale de ce règlement permet aussi d'octroyer la nationalité à toute personne lorsque les autorités le jugent nécessaire. 97. L'accès à la nationalité a supposé pour les colons l'exercice de toute une série de droits politiques. Parmi ces droits, le plus important est sans doute le droit de vote. Au début, les colons ont voté massivement pour le Parti de l'unité nationale de M. Denktash. Toutefois entre 1978 et 1981, sont créés des petits partis politiques (Parti de l'unité turque, Parti de la réforme et de la prospérité, Parti de la justice sociale), largement inspirés par le nationalisme turc, et qui proclament plus ou moins ouvertement leur intention de constituer une nation turque. Leur échec aux différentes consultations électorales a favorisé l'apparition d'un nouveau parti, inspiré selon certains, par les autorités turques. Il s'agit, comme je l'ai déjà indiqué, du Parti de la renaissance, partisan du maintien du présent statu quo.
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